Poser la question de l’actualité de « l’espace public » au Moyen Age est d’autant plus légitime que le théâtre médiéval est à la fois un théâtre de rue et un lieu de contestation. La polysémie de l’expression (espace immatériel et scénique) s’y trouve heureusement rendue. Le recueil La Vallière (BNF ms. fr. 25467), composé pour la représentation, en est une remarquable illustration : il fait alterner quatre pièces écrites pour être jouées sur des tréteaux : deux farces, dont chacune est suivie par une moralité ; jusqu’alors la critique s’était intéressée aux deux farces, la Pipée et Pathelin, plus accessibles, mais la vraie raison d’être du recueil est à chercher du côté des moralités politiques. Des moralités, Joël Blanchard a édité la première, la Moralité à cinq personnages ; il restait à éditer la Moralité à six personnages, texte difficile mais exceptionnel, alliant, dans une étrange unité, théâtre, astrologie et politique. Le cadre de la moralité est le monde de Louis XI ; les méthodes de gouvernement, l’arrivisme régnant sont dénoncés dans l’atmosphère contestatrice des Etats généraux de 1484, à l’heure du bilan d’un règne. C’est l’œuvre d’un basochien, d’un homme au courant des habitudes universitaires et des mœurs politiques, mais aussi d’un rhétoriqueur faisant preuve d’une magistrale virtuosité verbale et formelle, à qui on serait tenté d’attribuer un nom, celui de Henri Baude. On sait combien le théâtre médiéval profane nous est aujourd’hui difficile d’accès : les grilles de lecture en sont bien éloignées de nos habitudes de pensée modernes et l’interprétation est rendue malaisée par les allusions parfois hermétiques et une langue à la fois rude et ingénieuse. Mais, décryptée par un des meilleurs spécialistes de la période, la Moralité à six personnages, publiée pour la première fois, apporte un éclairage fort et neuf sur l’histoire politique et culturelle de la seconde moitié du XVe siècle.