Un jour, j’ai été terrassé par un accès de fièvre d’une violence extraordinaire : j’étais assis à ma table de travail ; soudain, ma tête s’est alourdie et j’ai dû quitter mon bureau. Après avoir grelotté pendant deux heures, j’ai commencé à transpirer d’une manière effrayante. En réalité, je me liquéfiais. J’ai fondu de quinze kilos en cinq jours et cinq nuits. Les médecins se déclaraient impuissants. À cette époque, on ne connaissait pas encore les antibiotiques efficaces. Aucune souffrance physique n’accompagnait ces phénomènes. Mais je me rendais bien compte que j’allais mourir. Comme j’étais jeune encore, je ressentis une profonde révolte en moi contre le Destin et contre la Mort. Dans la nuit où je crus que ma dernière heure était venue, j’ai revécu ma vie, ou plutôt ce que j’imaginais avoir été mon existence. Spectacle étrange : il me semblait que je me dédoublais ; je me regardais finir. C’est cette farce tragique que j’ai transcrite dans Les Bobines. Qu’on ne me dise pas qu’il s’agit d’un cauchemar, d’une chose inventée, d’une fiction ! J’ai vu et entendu ; j’ai suivi ces acteurs qui jouaient ma vie et ma mort, et j’étais parmi eux. Aussi vrai que je vous le dis. Maurice TOESCA