Ce que je voudrais aujourd'hui, c'est te parler à toi, mon enfant. Trente ans ont passé, tout rond, depuis notre retour d'Allemagne. Non que j'attache de l'importance aux anniversaires. Ça se trouve comme ça, voilà tout.
Maintenant, ma génération est en train de pénétrer doucement dans la retraite, quand ce n'est pas dans la mort. Et elle s'aperçoit que rien n'a été exprimé de ce qui fait sa substance.
Cela signifie qu'il me faut parler, coûte que coûte, avant qu'il soit trop tard. Non pas seulement parce que chaque génération humaine a le droit, et le devoir, de lancer au passage son message propre, mais parce que, si elle ne le fait pas, une déchirure s'ouvre dans le tissu de l'humanité, et c'est vous, vous la génération d'après, qui en souffrez. J'ose affirmer que d'une certaine manière le présent désarroi des esprits est dû à l'étouffement dont notre génération a été victime. Effet au moins indirect, mais quelquefois en ligne toute droite [...].
Ma génération n'a pas eu de jeunesse. Voilà le fond de notre vérité, voilà ce qui n'a pas été dit, voilà ce qui doit être clamé [...].
Voilà pourquoi, trente ans après, j'entreprends de raconter ce que fut la captivité.
Tu me dis que le sujet a déjà maintes fois été traité. Non. Pas vrai. Il n'existe à l'heure présente sur la captivité aucun roman qui en rende compte avec autant de force que tant de romans firent pour la guerre de 14-18. Rien de mieux que des oeuvres estimables, mais qui ne suffisent pas [...].
Il ne me restait qu'à relater ma propre captivité, en forme de témoignage. Mes souvenirs de captivité, si tu préfères. C'est ce que j'ai fait : ainsi est né ce livre.
Riger Ikor