Le Juif d'aujourd'hui est en pleine mutation. Après tant de siècles de servitude, voici qu'il se trouve jeté dans une liberté neuve. Tout son drame est là. Vit-il dans la Diaspora ? Le vieil antisémitisme, agonisant peut-être mais assurément pas mort, demeure toujours cramponné à ses épaules ; parfois même, la bête s'anime d'une nouvelle vigueur en s'alimentant à des sources inattendues. C'est ainsi que, sous prétexte d'antisionisme, l'el-fathomanie d'une certaine « gauche » déboussolée peut sans invraisemblance faire craindre au Juif une reprise de la persécution, sinon des massacres. Comment alors ne serait-il pas porté à réagir non pas d'après ses aspirations réelles, mais en fonction de cette menace, et finalement contre lui-même ? En Israël, le danger a un autre visage, bien qu'il soit en fait identique. Le Juif là-bas ne risque-t-il pas de succomber à l'ivresse de ses propres succès ? Face à des ennemis impitoyables, ne risque-t-il pas, pour survivre, de leur emprunter leur âme ? En écrivant cette Lettre, j'ai voulu surtout montrer à mes « co-juifs » engagés sur une route si étroite que, pour eux plus encore que pour les Autres, il n'est qu'une sauvegarde : être soi. C'est-à-dire raison garder. R.I.