C’est plus gentil qu’on ne croit, un gentil, terroriste, en dehors des heures de travail. C’est jeune, charmant, passionné, rieur, idéaliste ; ça aide les vieilles dames à traverser les rues. C’est même humanitaire. Quand le sang coule, la responsabilité en incombe forcément aux autres, police, gouvernement, dont l’odieuse intransigeance rejette des revendications légitimes. Mais également aux nécessités bien connues de l’action : faut ce qu’il faut, pas d’omelette sans casser d’œufs, gloire à la tactique et à la stratégie. La société reconnaît cette innocence. Qu’une pincée d’otages soit massacrée de sang-froid, quel journal parlera d’assassinat ? Le seul mot employé est celui d’exécution, bien plus gentil. Notre connivence est ainsi patente, et elle a des causes profondes. Tous, à un moment ou à un autre, nous subissons la tentation du terrorisme. Livrés sans défense à l’arbitraire de ces énormes organismes collectifs qui se partagent désormais le monde, comment les individus que nous sommes ne rêveraient-ils pas d’une vengeance à leur échelle ? Le terrorisme d’en bas réplique à la Terreur d’en haut. Mais, par un retournement étonnant, il en vient à la servir. Au niveau individuel, le gentil terroriste favorise la montée de l’inhumanité ; au niveau collectif, la Classe Intellectuelle canalise l’esprit libertaire de ses membres au profit de la dictature déshumanisante des Grands Ensembles. Pour arriver au port, ma lettre ouverte devait être protégée dans une bouteille bien fermée : mais l’ai-je seulement jetée à la mer ?