On le sait, l'historien expose les formes et les structures des situations sociales, en étudie les évolutions dans le temps, parfois y marque discontinuités et ruptures. Quelques chose me dit qu'il faut aller ailleurs. Car dans l'archive se lit le poids des êtres parlants, ce battement de l'histoire que l'histoire efface sous son récit officiel. Ici, dans les textes, existent des locuteurs qui racontent leurs histoires et des histoires. Aucun récit ne se ressemble, chacun ressemble autant qu'au réel qu'à de la fiction.
J'essaie d'extirper du magma des sources des figures aux existences réelles avec des mots qui cherchent le rythme de vies à présent défuntes ; j'ajoute du récit au récit des textes, en décollant un peu les mots, en m'accrochant aux destins racontés, aux gestes, aux objets, aux ruses. Sans faire de glose. Avec l'absurde et obstiné dessin de hisser les paroles retrouvées. Avec la nécessité de faire histoire avec elles et d'en faire un enjeu. Dire l'autre en histoire, c'est observer un disparu en même temps que regarder son double ; et suggérer que dans les singularités qui lui appartiennent se joue un essentiel que l'on ne doit pas manquer.
Arlette Farge