En 1869, l’opinion publique est profondément bouleversée par l’assassinat de huit personnes de la famille Kinck, commis par un jeune garçon de dix-neuf ans, Jean-Baptiste Troppmann. Un crime mystérieux devient le sujet de nombreuses spéculations dans la presse, dans lesquelles transparaissent de principales préoccupations et craintes de l’époque, telles que la famille, les conflits sociaux, le nationalisme, le spectre de l’homosexualité.
La protagoniste de La Marquise de Sade, un roman de Marguerite Eymery, écrivant tout au long de sa carrière sous le pseudonyme de Rachilde, s’identifie explicitement avec un des plus grands criminels du XIXe siècle. La Marquise de Sade manifeste, par son titre même, renvoyant à l’oeuvre du divin marquis que la jeune romancière a pu lire dans la bibliothèque de son grand-père à Thiviers, un goût provocateur pour des aberrations psychiques, par ailleurs, l’objet de nombreuses études scientifiques à l’époque. Dans le roman de Rachilde, le sadisme, outre d’être une marque de l’esthétique décadente ou l’astuce publicitaire, censée attirer le public, toujours assoiffé des ouvrages à scandale, devient un moyen paradoxal de véhiculer les arguments qu’on pourrait appeller 'féministes'.
Comme le prouve l’analyse des articles de la presse, consacrés à "l’affaire Troppmann", l’opinion publique associe facilement la transgression des normes
morales à l’identité sexuelle trouble. Dans la société, dont la structure repose sur la stricte séparation et codification des rôles sexuels, toute atteinte à l’ordre établi apparaît presque automatiquement comme la perte de nets repères sexuels. En même temps, les comportements sociaux non-orthodoxes deviennent, de quelque façon, une prise de distance par rapport à son identité sexuelle. Ainsi, Mary Barbe, éponyme "Marquise de Sade" 'choisit' la cruauté comme le moyen de transgresser l’ordinaire condition féminine, perçue comme celle de victime. Au centre de ce phénomène de la distanciation du féminin se trouve la figure de la mère, à la fois victime et bourreau dans l’ordre social où les femmes n’ont que le statut subordonné.