Pour l'Amérique latine, les années quatre-vingts ont été définies par la CEPAL comme la "décennie perdue", dominées par la crise financière, économique, sociale, liée notamment à l'endettement, et marquées globalement par une chute de la production et du revenu per-capita réel au-dessous du niveau atteint en 1980. Cette décennie est celle de la rupture forcée avec le modèle de développement "Cépalien", celle des politiques d'ajustement structurel et d'ouverture au marché mondial, celle de la reformulation des interventions de l'Etat et de son désengagement de la production directe. Cette révolution, qui est aussi celle des modèles de référence et des mentalités, est étroitement liée à la révolution générale industrielle et technologique mondiale et à la compétition accrue qu'elle instaure entre les économies nationales et les pôles les plus avancées (États-Unis, Japon, Europe). Le problème de la désindustrialisation et de la reconversion industrielle a d'ailleurs été en Amérique latine au cœur des débats sur les sorties de crise, et les politiques publiques de l'innovation et la capacité des États latino-américains à constituer les bases technologiques d'un développement endogène ont été sérieusement questionnées. Les innovations technologiques largement diffusées et implantées aujourd'hui dans les pays industriels sont relativement récentes en Amérique latine, où cette implantation se fait de manière hétérogène à l'intérieur des pays et des systèmes productifs ; elles se concentrent particulièrement dans certaines régions, dans certaines branches d'activités, dans certains types d'entreprises et d'administrations. Pourtant ce processus est doté d'une grande puissance et ses effets dépassent largement le simple cadre de l'économie globale de ces pays. La dynamique du système innovation-reconversion industrielle-ouverture aboutit également à une nouvelle géographie latino-américaine : à l'échelle du continent, elle accroît la distance entre pays forçant leur marche vers l'intégration au "premier Monde", comme le Mexique et pays enlisés dans la crise comme le Pérou ; à l'intérieur de chaque pays, elle change le poids et la qualité relative des régions, ouvrant une fracture entre zones d'industrie d'exportation et régions refuges et faisant se côtoyer territoires technopolitains et zones de pauvreté et d'exclusion.