Le Monstre est sans doute le roman le plus étrange et le plus original d'Ismail Kadaré. Ecrit et publié d'abord sous une forme abrégée dans une revue littéraire en 1965 _ à l'époque de ses " grandes découvertes ", comme l'auteur qualifie cette période de sa création _, c'est une oeuvre novatrice à la fois par sa composition et par sa technique. Interdite en Albanie après sa première parution, elle y resta à l'index un quart de siècle.
Le Monstre n'est autre que le fameux Cheval de Troie. Mais le Cheval et la Ville qui se dresse devant lui sont différents de la description que nous en a donné Homère. Les personnages entassés dans les flancs du Cheval vivent tantôt avant, tantôt après l'événement, autrement dit la chute de la Cité. A certains moments, ils demeurent inchangés tandis que Troie se transforme sous leurs yeux jusqu'à revêtir l'aspect d'une cité moderne avec ses cafés, ses buildings, son aéroport, etc.; à d'autres, c'est elle qui demeure figée tandis qu'eux-mêmes évoluent jusqu'à devenir des hommes de notre époque et que le fameux Cheval se mue en fourgon.
Le Monstre est un roman sur la terreur politique qui plonge un pays entier dans les affres. Roman de l'angoisse, c'est aussi celui de la mystification et du mensonge absolus dont savent se parer les dictatures. En donnant une version différente, " corrigée " de l'histoire de la chute de Troie, l'auteur confie avoir été également inspiré par le désir d'"alléger la conscience de l'humanité" en l'absolvant d'un crime très ancien.