Ismail Kadaré évoque ici un épisode mythique de l’ère stalinienne et pourtant infime par sa durée. Il s’agit de l’appel téléphonique de Staline à Boris Pasternak en juin 1934, qui ne dura guère que trois minutes et qui, dans le maelström de l’Union soviétique d’alors et des pays du bloc de l’Est, donna lieu à toutes les rumeurs, à toutes les interprétations, contribuant en grande partie à affaiblir encore l’image du grand écrivain russe. Cette conversation hante Ismail Kadaré depuis ses années de jeunesse, alors qu’il étudie à Moscou et qu’il en entend parler pour la première fois.
Tel est le socle de ce nouvel opus qui permet à Kadaré de faire défiler en filigrane les grandes figures littéraires russes, mais aussi albanaises, toutes en proie un jour aux tourments exercés par la machine de la terreur totalitaire. Il met particulièrement en lumière la figure tragique d’Ossip Mandelstam, qui venait juste d’être arrêté, et qui est au centre de cette conversation téléphonique.
Dénonciations, intrigues, incertitudes, témoignages, hypothèses, poèmes-fantômes, multiples interrogations ont essaimé de par le monde et se retrouvent ici dans un labyrinthe de versions de plus en plus inextricables, que l’écrivain propose comme une exploration sans fin de la relation énigmatique poète-tyran.
Revivant plusieurs fois l’épisode à travers des moments critiques de sa vie d’écrivain sous l’ombre menaçante de l’Etat, mais aussi à travers la résonance d’autres écrivains à d’autres temps, Kadaré s’en empare, décortiquant chaque aspect, chaque piste, chaque signal, tel un enquêteur qui ne trouvera jamais la clé du rébus.