La possibilité même de la science mathématique semble une contradiction insoluble. Si cette science n’est déductive qu’en apparence, d’où lui vient cette parfaite rigueur que personne ne songe à mettre en doute ? Si, au contraire, toutes les propositions qu’elle énonce peuvent se tirer les unes des autres par les règles de la logique formelle, comment la mathématique ne se réduit-elle pas à une immense tautologie ? Le syllogisme ne peut rien nous apprendre d’essentiellement nouveau et, si tout devait sortir du principe d’identité, tout devrait aussi pouvoir s’y ramener. Admettra-t-on donc que les énoncés de tous ces théorèmes qui remplissent tant de volumes ne soient que des manières détournées de dire que A est A ?...
Il est impossible de se représenter l’espace vide ; tous nos efforts pour imaginer un espace pur, d’où seraient exclues les images changeantes des objets matériels, ne peuvent aboutir qu’à une représentation où les surfaces fortement colorées, par exemple, sont remplacées par des lignes à faible coloration et l’on ne pourrait aller jusqu’au bout dans cette voie, sans que tout s’évanouisse et aboutisse au néant. C’est de là que provient la relativité irréductible de l’espace.
Quiconque parle de l’espace absolu, emploie un mot vide de sens. C’est là une vérité qui a été proclamée depuis longtemps par tous ceux qui ont réfléchi à la question, mais qu’on est trop souvent porté à oublier.
Je suis en un point déterminé de Paris, place du Panthéon, par exemple, et je dis : je reviendrai ici demain. Si l’on me demande : Entendez-vous que vous reviendrez au même point de l’espace ; je serai tenté de répondre : Oui ; et cependant j’aurai tort, puisque d’ici à demain la Terre aura marché, entraînant avec elle la place du Panthéon, qui aura parcouru plus de 2 millions de kilomètres. Et, si je voulais préciser mon langage, je n’y gagnerais rien, puisque ces 2 millions de kilomètres, notre globe les a parcourus dans son mouvement par rapport au soleil, que le soleil se déplace à son tour par rapport à la Voie Lactée, que la Voie Lactée elle-même est sans doute en mouvement sans que nous puissions connaître sa vitesse. De sorte que nous ignorons complètement et que nous ignorerons toujours de combien la place du Panthéon se déplace en un jour. En somme, j’ai voulu dire : Demain je verrai de nouveau le dôme et le fronton du Panthéon, et s’il n’y avait pas de Panthéon, ma phrase n’aurait aucun sens et l’espace s’évanouirait...