J’aurais pu retrouver une liasse de lettres écrites à un ami au cours des années 1957-1958, expédiées de France et d’Algérie, et contempler avec angoisse mes empreintes imprimées dans un monde de terreur, où la révolte est absente ou impossible et laisse place au constat passif : « La guerre me charrie dans la zone de l’humanité, où la force des idées, des mots, est entièrement soumise au langage du sang, où la mort violente est naturelle. » J’aurais pu être fasciné par un monde perdu, l’âge des grandes espérances, et entreprendre à l’appel des lettres jaunies un voyage en Algérie, un pèlerinage romantique, à la recherche du jeune appelé que la guerre, 20 ans plus tôt, avait sorti de l’usine d’une banlieue de province. Mais peut-on voyager dans son passé autrement qu’avec la mémoire ? Ce roman peut se lire comme le témoignage d’une génération aux prises avec les événements des années 1954-1962 mais, surtout, comme un face-à-face avec sa mémoire, une interrogation sur les limites de la non-culpabilité de l’être humain englué dans la guerre.