Plus qu’un esthète, André Gide est - avant tout - un moraliste. L’affaire de Gide, a été de remplacer une morale par une exigence. Il a consacré son œuvre à l’art de gouverner la vie. Mais, dans cette fonction et dans cette tradition des moralistes français, il entra au moment où une révolution allait bouleverser les principes de cet art. André Gide a vécu toute une crise et toute une révolution, qui ne sont pas encore terminées. Il sortit de l’adolescence au moment où étaient sur le point de s’écrouler les conventions qui protégeaient et assuraient la vie des hommes. Il fut, avant même que naquît notre siècle, la vigie qui devina, sur la ligne d’horizon, la zone de tempêtes et de cyclones, où la boussole allait devenir inutile. Plus tard, le mousse devint capitaine. N’avait-il pas été un des premiers à comprendre que, dans la mer dangereuse où entrait l’humanité, il allait falloir apprendre à vivre et à gouverner sans boussole ? Il a repris, dans la vie morale, la méthode des anciens explorateurs. Après quelques siècles, où les routes étaient tracées et balisées par des notions sûres, survient un temps qui ramène les moralistes aux aventures de l’Odyssée. Gide n’est pas parti - dans la vie et dans la pensée morale - en capitaine muni de cartes, mais, après un cataclysme idéologique qui modifia la configuration des terres conquises par l’homme, en pionnier et en explorateur.