La vogue du bouddhisme fait oublier combien sa découverte par l'Occident est récente. L'Europe commence à entrevoir le Bouddha vers 1820 seulement. Les orientalistes assemblent alors assez vite les diverses pièces - mongoles, chinoises, indiennes, tibétaines... - de ce puzzle culturel. L'émergence d'un tel continent, jusqu'alors presque inconnu, commence par surprendre et par inquiéter.
La plupart des philosophes allemands et français du XIXe siècle trouvent en effet dans le bouddhisme matière à épouvante. Ils y voient une religion où "l'homme doit se faire néant" (Hegel). Cette volonté de destruction, ce "culte du néant" (Victor Cousin), célébré par une "Eglise du nihilisme" (Renan), constituent une menace pour l'ordre établi. Dans l'imaginaire philosophique européen, le bouddhisme représente d'abord la négation de la vie, la destruction de soi. En retraçant l'histoire de la découverte du bouddhisme, Roger-Pol Droit écrit une page oubliée de l'histoire du nihilisme moderne.
En effet, à propos de l'Asie bouddhiste, les textes de Schopenhauer ou de Nietzsche, de Gobineau ou de Renouvier décrivent l'Europe d'après la Révolution française. Finalement, c'est l'Occident qui imagine une religion de l'anéantissement au moment où lui-même découvre l'effondrement de ses valeurs, de ses hiérarchies traditionnelles. Le spectre de l'athéisme, les révoltes sociales, la montée de la haine raciale, le pessimisme sont au rendez-vous.
Si nous pensons au temps présent en lisant cette enquête, n'est-ce pas que notre histoire s'est en partie préparée dans ce laboratoire méconnu de l'Occident, le culte du néant ?