La République de Turquie a tourné le dos au Moyen-Orient pendant la plus grande partie du xxe siècle. Ce repli stratégique et culturel, acté dans les années 1920 pour consolider l'État naissant après l'effondrement de l'Empire ottoman et refonder une nation turque débarrassée des influences orientales, a perduré jusqu'à la fin de la guerre froide. Le monde arabe et iranien était devenu l'Orient d'une Turquie qui se voulait fermement ancrée dans la modernité occidentale. Le contraste est aujourd'hui saisissant : la Turquie en plein renouveau, progressivement libérée des tabous du kémalisme, réinvestit rapidement le Moyen-Orient, devenu terrain d'expansion économique et d'expérimentation diplomatique. Elle se positionne comme une puissance régionale à part entière, sur le mode du soft power. Le Moyen-Orient est même parfois présenté comme l'alternative à une perspective européenne en berne. Mais les « printemps arabes » posent un sérieux défi au renouveau de l'influence turque dans la région. Modèle naturel pour les futures démocraties arabes, ou acteur impérial qui défend au plus près ses intérêts de puissance : quel sera le rôle de la Turquie dans un contexte de profonde instabilité régionale ? La diplomatie de l'AKP, le parti d'origine islamiste qui dirige le pays depuis 2002, subit ici un test majeur, entre recherche d'équilibre et exercice de responsabilité.