Écrite en pleine vogue du roman sartrien, cette évocation des puritains aux « cœurs brûlants et aux bouches closes » souleva lors de sa parution, par son caractère volontairement inactuel, l’étonnement du public. La critique dénonça tour à tour en Christian Murciaux un chef de l’opposition et « un disciple anachronique de Flaubert et de Tolstoï ». Il suffit d’ouvrir cette œuvre singulière et puissante, qui obtint en 1949, 7 voix contre 7 au Prix Femina, pour y trouver non des théories mais une fervente évocation de la conquête de la Terre Promise où les exilés du « Mayflower » apportent avec eux les passions et les divisions du vieux Monde. Ce mélange de sobre lyrisme et de vérité humaine, l’alliance d’une rigoureuse architecture avec un souffle vraiment épique, raviront encore des lecteurs non prévenus, quinze ans après la publication de ce livre. Avec le temps, ce roman superbement indifférent aux modes littéraires, ne constitue plus un phénomène inexplicable, une île soudain surgie à la surface des eaux, car les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, la Semaine Sainte de Louis Aragon, ont imposé à un large public le même dépaysement dans le temps et dans l’espace auquel s’essayait un jeune romancier audacieux. Aussi bien, comme le grand roman espagnol de Christian Murciaux, Notre-Dame des désemparés aujourd’hui traduit en quatre langues, Les fruits de Canaan ont pris place parmi les rares romans écrits depuis la Libération, que l’on ose déjà relire.