Que fut ce Pedro de Luna qui a été surnommé le Pape de la mer ? Un obstiné, un conquérant, un mystique ? Les trois sans doute. En ce prophète, qui semble avoir pressenti la Réforme, se manifeste le génie politique de l’Aragon, qui s’incarnera à la fin du XVe siècle en Ferdinand avant de trouver son théoricien en Balthazar Gracian. Ainsi cette grande figure de Pedro de Luna se dresse aux sources de l’Espagne comme au début des temps modernes. Il a fallu à Christian Murciaux six ans de patientes recherches et de méditations pour évoquer, en romancier, le destin d’un homme qui annonce le cardinal Cisneros par son goût de l’action, sa vaste culture, sa doctrine rigoureuse, son art de manier les hommes et les idées, comme il présage Don Quichotte et sa démesure. Aussi seul que le héros de Cervantès, le Pape de la mer, sur son rocher de Peniscola, tient tête à toute la chrétienté. Ce combat qui dure près d’un demi siècle, où les rivalités entre peuples, les luttes entre les souverains tiennent autant de place que les discussions théologiques, Christian Murciaux a su le retracer à travers le soliloque fiévreux de son héros. Dans la réclusion farouche de Pedro de Luna, le passé est aussi présent à ce solitaire que l’avenir. Il conserve avec des êtres de sa race : Martin l’Humain, Alphonse le Magnanime, l’énigmatique Yolande d’Aragon, Frédéric II de Hohenstaufen surgissent dans ces foudroyants raccourcis. Ce livre, à certains égards, semblera un plaidoyer passionné et convaincant. Mais en se penchant sur le destin du dernier Pape d’Avignon, Christian Murciaux n’a pas seulement rouvert le dossier d’un grand méconnu de l’histoire. On ne peut en effet apprécier l’actuel Concile si l’on ignore celui que réunit à Tortosa le pape Luna pour amener au Christ les Juifs. Ces vastes desseins, ces puissantes ambitions, ces luttes politiques et religieuses, retrouvent vie sous le souffle puissant du romancier. Dans Notre-Dame-des-Désemparés, Grand Prix du roman de l’Académie française, Christian Murciaux évoquait l’Espagne contemporaine, déchirée par la guerre civile. Avec Pedro de Luna, il a visé au plus haut et il nous donne son chef-d’œuvre.