D'abord, ce livre décrit le tiers monde comme un monde autre que l'Occident libéral et que l'Est communiste. Dans Le socialisme sans visage j'ai parlé de l'avènement d'un tiers modèle ; eh bien, les pays et continents ici discutés sont loin d'en présenter un : ils semblent se débattre entre une tradition, en grande partie déchue, et une modernisation que très peu réussiront à réaliser. Les nouvelles élites, poussées par l'impatience, le fanatisme et les idéologies cherchant une formule, pensent créer une réponse à l'histoire — à moins que cette quête ne soit, elle aussi, une vision occidentale des choses. Ensuite — est-ce une contradiction ? — ce livre pressent l'éclosion non pas d'une mais de plusieurs civilisations — à la gestation très lente — même si de nombreux pays qui les composent restent économiquement à peine viables. Contrairement aux experts en tiersmondologie, je crois que l'auto-affirmation aura lieu une fois que l'obsession de colonisé aura disparu de l'horizon et avec elle le désir d'imiter l'Occident. Toutefois, la réalité sera à l'antipode de l'idéologie : moins la modernisation au sens technologique que des masses déracinées avec, à leur tête, des chefs amalgamant tradition et révolution. Voici donc un ouvrage qui, loin des clichés, découvre un monde aux présupposés et aux aspirations autres. L'histoire prend un tournant.