La première scène rappelle le narrateur à son impuissance : il assiste au tabassage en règle d'un passager dans le métro. En d'autres temps, il aurait réagi, implacable, corps délié, volonté de fer, mais il ne bouge pas, la peur au ventre. La mémoire réveillée tisse les liens entre les époques : hier, dans la mouvance de la Gauche Prolétarienne, l'ex-minet du Drugstore aux pulls shetland et aux boots glacées, s'inscrit virilement aux cours du Vô-Vietnam ; dans l'odeur âcre de la salle de boxe parisienne, il apprend à souffrir, découvrant les dures leçons de la sagesse orientale. Hier, pour échapper à l'amour fou qu'incarne Ursula, beauté androgyne, hussarde des seventies condamnée par une overdose, il suit son meilleur ami jusque dans la cité interdite, le légendaire monastère kung-fu de Shaolin dont il sera le premier disciple blanc. Aujourd'hui, aguerri par les coups qu'il a reçus plus que par ceux qu'il a donnés, le narrateur retrouve en Louise la force d'aimer, les larmes enfouies, la fragilité du jeune tigre qu'il fut. L'amour est un combat. Passion et révolution, d'un visage féminin l'autre, en frôlant les dangers. C'est toute une époque que François Armanet convoque, avec la grâce et la précision qu'on lui sait, une époque qui va des dandys de la nébuleuse gauchiste aux rivages de l'Asie, de l'herbe fumée aux cendres amères des camarades perdus en route, des maîtres du Tao à la rédemption des combattants de l'ombre.