Presque soixante ans après la chute de la garnison française à Dien Bien Phu, nous connaissons toujours mal l’autre côté combattant. Le « phénomène Viet Minh » est toujours expliqué soit comme la manifestation d’un patriotisme vietnamien « éternel » soit comme l’incarnation du « totalitarisme » communiste. Se basant sur des sources vietnamiennes inédites, Christopher Goscha rompt avec ces interprétations pour analyser la manière dont les nationalistes vietnamiens conduits par le Parti communiste forgèrent un véritable Etat dans la perspective de mener l’effort de guerre, de préserver son assise territoriale et de projeter dans l’avenir la souveraineté nationale. Goscha remet également en cause le mythe d’une simple « guerre de guérilla » asymétrique opposant le colonisé au colonisateur. Grâce à l’assistance sino-soviétique, les communistes vietnamiens entamèrent une conversion vers une forme moderne de guerre conventionnelle et à cet effet, mirent sur pied une armée professionnelle. Pour réussir cette transition, le Parti accentua sa mainmise sur l’Etat, la société et l’armée. Le Parti instaura simultanément une révolution sociale radicale, non seulement pour mobiliser toujours plus de forces mais aussi pour remodeler l’Etat et la société selon le moule communiste. L’histoire du Vietnam contemporain ne se réduit pas à « la » guerre, mais assurément elle fut sa matrice. En somme, l’Etat vietnamien a fait la guerre autant que la guerre a fait l’Etat.