De tous les textes de Lacan, L’Etourdit, publié en 1973 dans la revue Scilicet et réédité en 2001 au Seuil dans le volume Autres écrits, est généralement tenu pour un des plus obscurs, ce qui n’est pas peu dire quand on connaît la réputation de gongorisme faite de longue date à son auteur. C’est que ce texte synthétise nombre des aspects les plus importants, mais aussi les plus difficiles, ou les plus paradoxaux, de la pensée de Lacan, telle qu’elle se fixait de façon décisive en ce début des années 1970. Le séminaire de l’année universitaire 1972-1973, titré Encore, est celui où l’on trouve en abondance les doctrines et les formules qui ont fait alors la fortune de Lacan : la théorie des quatre discours (le Maître, l’Hystérique, l’Université et l’Analyste), « l’amour supplée à l’absence du rapport sexuel », « La femme n’existe pas », « Le langage est une élucubration de savoir sur lalangue », etc. Barbara Cassin et Alain Badiou proposent ici de penser « avec » ce texte, à travers lui, par entaille et prélèvement, sur des questions qui leur sont chères. Ces deux études, ou lectures – faites, l’une par une femme, l’autre par un homme (la remarque est importante) –, ont le savoir comme enjeu, envisagé par B.Cassin à partir de son rapport intime aux choses de la langue, et par A. Badiou à partir de ce que la philosophie prétend pouvoir dire quant à la vérité. Si bien qu’à propos de L’Etourdit de Lacan c’est à une nouvelle confrontation, ou à un nouveau partage, entre la masculinité de Platon et la féminité de la sophistique qu’on assiste.