Tout le monde croit connaître Catherine Clément.
Chacun est capable d’évoquer à son sujet, et en vrac, sa passion pour l’Inde, ses romans philosophiques, ses années d’enseignement et de journaliste, ses missions aux affaires étrangères qui l’ont menée, avec son compagnon ambassadeur, aussi bien à Vienne et à Delhi qu’à la découverte de l’Afrique, sa fréquentation des sphères de la psychanalyse, mais cet inventaire paraît déjà aussi désordonné qu’incertain, aussi sommaire que réducteur.
En vérité, personne ne connaît Catherine Clément. Voilà ce qui apparaît d’emblée à la lecture de ses mémoires.
À travers ses rares récits autobiographiques (dont Cherche Midi, Stock, 2000), ses lecteurs ont approché son enfance de petite fille juive française, mais jamais Catherine Clément avant la publication de ce livre – sans aucun doute le plus important de sa vie – n’aura dévoilé tant de secrets, de souvenirs enfouis, de mystères jamais élucidés. De sa complicité fraternelle aux amitiés éternelles, on la découvre jeune enseignante, engagée au parti communiste ou proche de certains politiques, parmi lesquels deux présidents Jacques Chirac et François Mitterrand. On lira avec une émotion très particulière les portraits qu’elle trace de ses grands maîtres, Jankélévitch, Lacan, Lévi-Strauss, ou ceux de personnages tels que Roland Barthes ou Jean-Paul Sartre.
Au final, on n’obtiendrait que le parcours hors norme d’une intellectuelle si ce livre de mémoires d’une femme de soixante-dix ans n’était pas avant tout par son écriture, sa liberté, ses incorrections, ses indiscrétions, son humour, sa tendresse et son absence totale de complaisance, la vie même.
La vie de quelqu’un qui aura pratiquement tout fait sans même s’en rendre compte, qui s’en étonne aujourd’hui et qui garde précieusement, pour mieux nous le transmettre, un sens de l’amour, de l’amitié et de la justice qui nous manque cruellement en ces temps de confusion des esprits.