Si la Grèce ancienne semble ne jamais s’être adonnée à la pratique d'immolations humaines, elle nous a légué une quantité paradoxalement élevée de mythes de sacrifice humain, rattachés à un nombre d'institutions socio-religieuses, qui vont des boucs émissaires aux usages de la guerre et aux cultes de presque toutes les divinités, locaux ou panhelléniques. Ce paradoxe peut être résolu en dépassant l’idée d’un progrès moral conduisant à l’abolition progressive de la barbarie des temps premiers, pour considérer le rôle tenu par le concept de sacrifice humain dans la société grecque : symbole de mort dans les rituels initiatiques et de renversement dans les cérémonies d’inversion, ce concept est d'abord une exagération mythique qui en fait la contre-valeur par excellence du système normatif hellénique. En ce sens, il joue dans la vie quotidienne des Grecs un rôle aussi important que peu soupçonné. À la fin du Ve siècle, il deviendra, dans la mentalité grecque gagnée aux valeurs patriotiques, l’illustration de l’abnégation idéale en faveur de la polis.