Cet ouvrage est né d’une question proposée par la classe des sciences morales et politiques de l'institut national, à savoir : Déterminer quelle est l'influence de l'habitude sur la faculté de penser ; ou, en d'autres termes, faire voir l'effet que produit sur chacune de nos facultés intellectuelles la fréquente répétition des mêmes opérations.
« Nul ne réfléchit l'habitude, a dit un homme célèbre; rien de plus vrai ni de mieux exprimé que cette courte sentence. La réflexion, au physique comme au moral, demande un point d'appui, une résistance : or l'effet le plus général de l'habitude est d'enlever toute résistance, de détruire tout frottement ; c'est comme une pente où l'on glisse sans s'en apercevoir, sans y songer.
Réfléchir l'habitude !... et qu'est-ce qui peut ou veut faire cette première réflexion ? Comment soupçonner quelque mystère dans ce que l'on a toujours vu, fait ou senti ? De quoi s'enquérir, douter, s'étonner ?...
Comment réfléchir ses habitudes, les plus intimes et les plus profondes de toutes ?
La première réflexion est en tout le pas le plus difficile : il n'appartient qu'au génie de le franchir. Dès que le grand homme qui sait s'étonner le premier, porte ses regards hors de lui, le voile de l'habitude tombe, il se trouve en présence de la nature, l'interroge librement, et recueille ses réponses ; mais s'il veut concentrer sa vue sur lui-même, il demeure toujours en présence de l'habitude, qui continue à voiler la composition et le nombre de ses produits, comme elle dérobait auparavant jusqu'à leur existence. »