Depuis une dizaine de jours, dès que j’ai une heure à moi, je la consacre à ce gros in-octavo de plus de six cents pages, où, par un prodigieux travail, l’auteur a patiemment réuni, avec textes et preuves à l’appui, tous les témoignages favorables à la personne de l’Empereur. C’est exactement la contre-partie, c’est même, à mon humble avis, la réfutation de l’œuvre de Taine. Pour tout dire, la ressemblance existe entre les deux livres. Car Taine, dans son dernier et monumental ouvrage, Les Origines de la France contemporaine, et particulièrement dans le volume consacré à l’analyse du caractère de Napoléon, avait purgé son style volontairement, j’en suis certain — d’imagination et d’éloquence, et l’avait réduit à une sécheresse toute scientifique. C’est par l’accumulation des petits faits, c’est par un tricotage — très curieux du reste — de notules et de scolies, qu’il a soutenu son opinion — j’allais écrire : son paradoxe — et qu’il a représenté l’auteur du Code civil, et le vainqueur d’Austerlitz, sous les traits d’un atroce et funeste condottiere.
Pour nous peindre Napoléon tel qu’il le voit, c’est à dire comme un homme de génie, mais aussi comme un homme animé des plus nobles instincts, M. Arthur-Lévy n’a pas employé d’autres procédés. Comme Taine, et avec autant d’abondance que lui, il s’est contenté de grouper des faits et des citations, et il a combattu victorieusement, selon moi, les détracteurs de Bonaparte par la même inflexible méthode.
En vérité, un tel livre était nécessaire.
Dans les dernières années du second Empire, et surtout depuis sa chute, le courant de la réaction, la poussée de dénigrement et de calomnies contre Napoléon Ier avaient dépassé les dernières limites de l’injustice. L’acte monstrueux de la Commune, renversant, en présence des Allemands vainqueurs, la colonne Vendôme sur un lit de fumier, eut un caractère symbolique. Par une folie, que l’imbécillité des passions politiques peut seule expliquer, la France, le lendemain de sa défaite, semblait vouloir déchirer les plus glorieuses pages de son histoire, avilir et souiller une épopée militaire comme aucun peuple n’en a dans ses annales. On exhuma les libelles anglais et les pamphlets de l’émigration. Bonaparte redevint l’Ogre de Corse. Les propos de femme rancunière, comme la Rémusat, les potins de laquais chassé comme ce voleur de Bourrienne, firent autorité. Le moindre vice qu’on reprochât à l’Empereur était l’inceste ; la seule excuse qu’on invoquât en sa faveur était l’épilepsie. Il y eut des pères Loriquets orléanistes et républicains, qui travestirent les personnages et dénaturèrent les évènements à qui mieux mieux. Beaucoup de larmes de crocodile furent répandues. Des Jacobins pleurèrent le duc d’Enghien, et des royalistes s’attendrirent sur Malet. Il fut d’ailleurs convenu que, même comme homme de guerre, Bonaparte avait été singulièrement surfait. Chacune de ses victoires était due à l’un de ses lieutenants ; et l’on dénonça avec indignation son envie et son ingratitude envers ceux qu’il avait seulement faits princes, ducs et maréchaux. Des stratèges de cabinet et de bibliothèque, des tacticiens armés d’un simple couteau à papier, conclurent à la médiocrité de ce général, qui avait cependant commandé en personne dans six cents combats et dans quatre-vingt-cinq batailles rangées.