Peut-on penser l’invention intellectuelle par-delà les partages entre science et littérature ? Existe-t-il un art de l’invention commun à toutes les activités créatrices ? Ces questions sont le point de départ d’une réflexion sur le diagramme, pratique consistant à traduire une intuition en termes visuels et spatiaux. Mixte d’écriture et de dessin, le diagramme ne sert pas simplement à représenter ou à illustrer un phénomène existant : il permet d’explorer une réalité non encore connue, de faire émerger une possibilité de pensée. Qu’il représente le germe d’une œuvre artistique ou le premier jaillissement graphique d’une future théorie, le diagramme joue un rôle décisif dans la fabrique de la pensée.
Cette générativité du diagramme est explorée ici à travers diverses pratiques d’écriture. Les Cahiers de Valéry donnent ainsi à voir le processus d’émergence de la pensée en expérimentant différents systèmes de signes (dessin, écriture, algèbre), les écritures-tableaux de Michaux magnifient la qualité d’image de l’écriture jusqu’à la transformer en fait pictural ; les jeux graphiques de Sterne mêlent le lisible au visible pour élaborer un métadiscours sur l’art du roman ; l’arbre enfin, ce « diagramme des diagrammes », apparaît comme l’un des plus puissants outils d’organisation du savoir (encyclopédie) et de modélisation de l’évolution (Darwin, Moretti).
Laurence Dahan-Gaida est professeure de littérature comparée et directrice du Centre de Recherches Interdisciplinaires et Transculturelles. Elle dirige la revue en ligne Epistemocritique et est auteure de nombreuses études sur les relations sciences/littérature.
