Le travail de Marie Cosnay et son implication citoyenne n'ont pas cessé de s'interpénétrer.
Mais la littérature, c'est le lieu de l'expérience de la langue. Ce qui est haut, violent, et prfondément humain ici, c'est que la violence faite aux hommes, on se saisit de son instance de langue.
Arrêtons, à force de nos propres mots – et ici, on convoquera quelques figures favirables, Foucault, Socrate, Mandelstam, Hannah Arendt – la machine à broyer par la langue, et la machine à dominer les hommes pourrait s'enrayer.
Et ce n'est pas une mince machine. Nous vivons des temps sombres. On a osé instituer un ministère de l'identité nationale. On rémunère des fonctionnaires (qui font leur boulot, cette implication individuelle dans les rouages à moudre l'homme, comment se les rend-on supportables, quand on en participe ?), pour aller à la chasse (leur terme) aux hommes et femmes en situtation irrégulière, et les faire passer du centre de rétention à l'avion de la honte.
Et on n'est pas à Paris : on est tout au bout de la France. Des Tribunaux comme celui-ci, il y en a dans toutes nos régions. Et les portraits de ces hommes et femmes, quand l'écrivain vient si assidûment aux séances qu'elle connaît par leur nom le responsable de la préfecture, les avocats et le procureur ou la juge, prennent une netteté qui tient seulement à la langue et son usage.
L'an dernier, Marie Cosnay a fait paraître aux éditions Laurence Teper Entre chagrin et néant. Audiences d'étrangers, déjà une incursion dans la machinerie judiciaire autour des Centres de rétention. La fin des édition Laurence Teper fait que ce livre n'est plus disponible, alors qu'il nous est nécessaire.
Le titre ici, Quand les mots du récit... on en vérifiera la pertinence à ces histoires qui s'échangent pour éviter l'expulsion humiliante, écrasante. Vous apprendrez au passage la différence entre l'OQTF (obligation de quitter le territoire français), et l'APRF (arrêté préfectoral de reconduite à la frontière) – mais les visages qu'ils concernent, vous les oublierez moins vite que les sigles.
Nous sommes évidemment fier d'accueillir Marie Cosnay (magnifique aussi était son Déplacements, déjà chez Laurence Teper, mais nous accueillons Quand les mots du récit comme une présence nécessaire, une respiration pour nous-mêmes salubre. Cela s'appelle résister. Faites lire ce texte, largement, aidez-nous.