Les individus tels que Pierre-Joseph Dachet, sont la providence de l’historien. Imaginez, en effet, un enfant qui, persuadé — dès l’âge le plus tendre — d’être le Grand Dauphin de France, cherche par tous les moyens à quitter la Belgique où il est élevé, pour rejoindre Versailles ; un brillant étudiant en théologie de l’Université de Louvain, qui passe au crible les textes sacrés pour prouver sa haute naissance ; un chanoine Prémontré d’une célèbre abbaye namuroise enfin, en guerre ouverte et permanente avec son Abbé, qui fait fugue sur fugue, s’imagine épouser Caroline de Berry, fille de Louis XVI, et vit dans la terreur de n’avoir pas été baptisé — tout cela avec pour toile de fond, une époque parmi les plus mouvementées de l’Histoire : le siècle des Lumières, la Révolution française, le triomphe de Napoléon, toutes choses qu’il observe et décrit en témoin engagé ! Un tel illuminé avait toutes chances de passer inaperçu, enfermé bientôt dans quelque asile. Mais la folie de Dachet lui a épargné l’oubli. Il passa, en effet, la fin de sa vie à écrire et à publier ses mémoires, pour tenter, une fois encore, de revendiquer ses droits et de se justifier face à son Abbé. C’est le "Tableau historique des malheurs de la substitution", 2363 pages réparties en six épais volumes. Ce livre est rarissime. Un fonctionnaire de l’Empire (nous sommes en 1812), en a décidé, pour des raisons politiques évidentes, la totale destruction. Mais, miraculeusement, quelques ouvrages sont préservés et, à ce jour, on ne connaît que deux séries complètes des mémoires de Dachet : la première est à la réserve de la Bibliothèque nationale à Paris, et pratiquement inaccessible ; la seconde est entre les mains de l’auteur de ce livre. Mais les mémoires de Dachet sont immenses, fastidieux et parfois confus. N’oublions pas que celui-ci était un exalté, qui revendiquait ses droits. Certains passages sont en latin, d’autres se répètent, et d’autres enfin défient le bon sens. Il a donc fallu mettre de l’ordre, et c’est cette version abrégée, essentielle, des mémoires de Dachet, que l’on va retrouver ici. Elle représente environ un cinquième du texte original. L’auteur y a joint une analyse critique et historique de l’ouvrage du chanoine de Floreffe.