Toute valeur suppose l’appréciation d’un sujet, en rapport défini avec une sensibilité déterminée. Ce qui a de la valeur est bon à quelque titre ; ce qui est bon est désirable ; tout désir est un état intérieur. Et pourtant les valeurs dont il vient d’être question ont la même objectivité que des choses. Comment ces deux caractères, qui, au premier abord, semblent contradictoires, peuvent-ils se concilier ? Comment un état de sentiment peut-il être indépendant du sujet qui l’éprouve ?
Pour nombre de penseurs, qui se recrutent, d’ailleurs, dans des milieux assez hétérogènes, la différence entre les jugements est purement apparente. La valeur, dit-on, tient essentiellement à quelque caractère constitutif de la chose à laquelle elle est attribuée, et le jugement de valeur ne ferait qu’exprimer la manière dont ce caractère agit sur le sujet qui juge. Si cette action est favorable, la valeur est positive ; elle est négative, dans le cas contraire. Si la vie a de la valeur pour l’homme, c’est que l’homme est un être vivant et qu’il est dans la nature du vivant de vivre. Si le blé a de la valeur, c’est qu’il sert à l’alimentation et entretient la vie. Si la justice est une vertu, c’est parce qu’elle respecte les nécessités vitales ; l’homicide est un crime pour la raison opposée. En somme, la valeur d’une chose serait simplement la constatation des effets qu’elle produit en raison de ses propriétés intrinsèques. Mais quel est le sujet par rapport auquel la valeur des choses est et doit être estimée ? Sera-ce l’individu ? Comment expliquer alors qu’il puisse exister un système de valeurs objectives, reconnues par tous les hommes, au moins par tous les hommes d’une même civilisation ?
A travers cet exposé, Emile Durkheim s’est proposé de montrer comment la sociologie peut aider à résoudre un problème philosophique...