L'Histoire peut-elle saisir "l'étoffe dont nos rêves sont faits" ? L'étoffe, le mot dit bien l'entrelacement, la trame, l'épaisseur du voyage peu ordinaire auquel nous convie Lucette Valensi.
L'expédition commence par un événement d'écriture : six petits versets de l'Evangile selon saint Matthieu énonçant le départ de la Sainte Famille pour l'Egypte afin d'échapper à Hérode, puis son retour en Palestine. Cette courte séquence va engendrer un véritable monde fait de textes (les évangiles apocryphes, les traditions musulmanes, La Légende dorée, etc.), d'images (l'iconographie chrétienne et musulmane et la peinture européenne), de musiques (tel le récent opéra, El Niño, de John Adams) et, enfin, des lieux, des géographies sacrées concurrentes. Ce cosmos textuel et imagier est en expansion, il passe les rives de la Méditerranée, va d'Orient en Occident, traverse le temps en s'enrichissant, monde de rencontre, de diffusion, de transformation dans des contextes culturels différents. Il ne s'agit pas, pour l'historienne, de suivre la fortune d'un texte ou d'un thème iconographique, mais bien de se placer au confluent des textes et des espaces, des textes engendrant des espaces, des traditions et des sociétés, dans une histoire totale grosse de passages, de ponts et de routes. L'Histoire n'est peut-être pas à la hauteur de nos rêves, mais, à coup sûr, elle accompagne l'homo viator sur ces chemins.