Nicolas Gogol (1809-1852)
"Quel délire ! quelle splendeur qu’un jour d’été dans la Petite-Russie ! De quelle chaleur languissante sont chargées les heures quand midi éclate silencieux et brûlant, et que l’Océan bleu, infini, étendu en voûte ardente sur la terre, semble dormir tout noyé de volupté en enlaçant et en étreignant la bien-aimée dans ses bras éthérés. Pas un nuage au ciel ; dans les champs, pas une parole. Tout semble mort. En haut, seulement, dans la profondeur du ciel, frémit l’alouette ; et sa chanson d’argent roule sur les marches aériennes jusqu’à la terre amoureuse.
Par instant, le cri de la mouette ou la voix sonore de la caille, résonne dans la steppe. Paresseux et sans pensée, comme vaguant sans but, s’élèvent les chênes ombrageux. Et le jet aveuglant des rayons solaires embrase pittoresquement des masses entières de feuillages en enveloppant les autres d’une ombre noire comme la nuit, sur laquelle un vent violent fait çà et là scintiller de l’or. L’émeraude, la topaze, le saphir des insectes aériens, ruissellent sur les jardins bigarrés ombragés de tournesols élancés. Les meules grises du foin et les gerbes dorées du blé, s’étagent en camps dans la plaine et se déroulent à l’infini. Les larges branches des cerisiers, des pruniers, des pommiers et des poiriers, plient sous le poids des fruits. Le ciel se reflète dans la rivière comme dans un miroir au cadre vert et élevé... De quelle volupté et de quelle langueur déborde l’été de la Petite-Russie !
C’est de cette splendeur que brillait une des chaudes journées du mois d’août dix-huit cent... dix-huit cent... oui, il y a une trentaine d’années, lorsque, sur une longueur de plus de dix verstes, la route conduisant au village de Sorotchinetz grouillait de la foule accourue à la foire de tous les environs et des hameaux les plus lointains."
Recueil de 4 nouvelles dans lesquelles l'âme des villageois ukrainiens est présente. Supersition et humour.
" La foire de Sorotchinetz" - "Une nuit de mai" - "La nuit de saint-Jean" - "La missive perdue"