Hildegarde, abbesse du monastère de Bingen, vécut au temps des Croisades et de l'empereur Barberousse. De nos jours célèbre pour ses visions, ses écrits médicaux ou naturalistes, elle fut en son temps recherchée pour ses capacités prophétiques ainsi que pour la sagesse et le bon sens de ses conseils. Inexpérience visionnaire, le souci personnel d'échapper aux calomnies ou aux suspicions, ajoutés au désir bien compréhensible de ses proches d'exalter sa sainteté et de souligner l'exceptionnelle originalité de sa vie ont à terme produit une image déformée. Miracles et prophéties furent mis en exergue, la correspondance remaniée, voire manipulée, l'image de la sainte utilisée à des fins aléatoires. D'une œuvre en partie rédigée sous le signe de l'Apocalypse, on retient les aspects les plus spectaculaires, au détriment d'une approche exacte de la bénédictine. Il était certes plus facile de transformer l'abbesse en prophétesse enflammée que de scruter ses écrits, plus facile de basculer dans la légende que de faire son histoire. C'est en revenant aux sources, aux textes, que ce livre entend dresser un portrait de la visionnaire, une première approche qui puisse servir d'introduction. Hildegarde de Bingen ne fut pas une mystique mais une visionnaire, elle ne dévoila pas l'avenir pas plus qu'elle n'a anticipé sur nos découvertes scientifiques, mais elle lutta inlassablement contre les maux du temps, contre l'indignité des prêtres, l'impiété des empereurs ou la subversion cathare. Ranimant les énergies défaillantes, secouant les âmes inconstantes ou faibles, elle a préparé ses contemporains à la fin des temps, sans chercher à les effrayer inutilement. A ses yeux l'eschatologie n'est que le désir de faire retour aux origines sacrées et incorruptibles du monde, de s'y réfugier, d'échapper à la mort. Hildegarde resta toute sa vie une femme d'Église, respectueuse des institutions, une abbesse infatigable rappelant le message des Écritures, bref une femme de son temps, qui sut se faire entendre et respecter.