Je ne savais et ne sais toujours pas grand-chose de ma famille. Déjà unis pour le meilleur et, hélas, pour le pire, mes parents étaient arrivés de Pologne après l’autre guerre et j’étais venu au monde dans l’arrière boutique. Nous étions dans la fourrure. Ma petite sœur Leah, qui ne m’est plus qu’un souvenir lointain, était née plus tard alors que la boutique était devenue un magasin prospère de la rue Saint Ferréol. La législation antisémite du bon Maréchal de France nous l’avait confisqué, l’arrivée des nazis en zone non occupée nous faisant quitter Marseille pour Malsol. L’idée de m’y faire enterrer me vint en quittant l’hôpital. Il ne me fut pas désagréable de penser y acquérir un bout de terrain. Quelque chose de modeste, six mètres carrés dans le cimetière. A la mairie je fus très bien reçu et le nom de Kourski, aussi exotique qu’il soit, ne rappela rien. Un demi-siècle s’était écoulé, il n’y avait rien d’étonnant à cela. Qui pouvait encore se soucier d’une famille étrangère au pays ? C’est ce qui me vint spontanément à l’esprit mais confusément cela ne me satisfit pas. L’arrestation d’une famille entière dont une enfant de sept ans aurait dû laisser une trace dans la mémoire collective du village.