« ...Il a soixante-huit ans. Son visage s’est alourdi sans s’être atténué, s’affirmant de l’intérieur en reliefs volcaniques, rageurs, en amertume, en rides, en bosses, en froncements, le poil rare et mauvais, l’œil d’éléphant, l’œil de mémoire enfoncé sous mille paupières. Charles de Gaulle porte un uniforme de revenant, la vareuse trop longue coupée par un vieux tailleur de Saint-Cyr, et ces deux maigres étoiles sur son képi qui le confirment dans son grade étrange, dans son grade unique de général de brigade à titre temporaire. Sur sa poitrine une seule marque qui n’est pas une décoration mais un vœu : la croix de Lorraine. Le voici ressurgi devant le micro et la caméra, aussi anachronique, aussi mystérieux qu’un gisant de Saint-Denis soudain debout et se mettant en marche ; venu de sa crypte, de sa forêt, de ses versions latines, appareillant d’Aigues-Mortes ; et croisé. En juin 40, il avait emporté la France avec lui ; il la rapportait avec le reflux de la Manche. On le croyait maintenant penché sur le passé, tout à se souvenir. Mais soudain, laissant là sa plume et ses Mémoires, échappant à l’écrivain qui l’avait ressaisi, il court à Alger vivre un nouveau chapitre. »