Le texte rêve : manière de dire qu'un écrit littéraire vit une vie nocturne et que, de cette vie, nous pouvons entrevoir quelques fantômes. Manière de reconnaître qu'un lecteur attentif peut amener un tel écrit à raconter, dans une autre langue, ce qui se passe sur la scène obscure qu'on dit être celle de l'inconscient. Manière de suggérer que le critique peut éclaircir, un peu, la nuit, reprendre en écho la rumeur, afin que le public sache où porter ses pas, à quoi prêter l'oreille. Pour que lecture et écriture manifestent leur séduction, en donnant occasion à quelque vérité de se produire au jour, il faut qu'elles nous fassent rêver, il faut qu'elles nous incitent à rêvécrire, chacun pour son propre conte... Enfin ! On a récemment retrouvé les restes d'Alain-Fournier, mort sur le front au début de la Première Guerre mondiale ! Dépouillage d'archives, recoupements, fouilles sur le terrain et, finalement, les ossements sont réapparus et ont été identifiés. Tout cela pourrait sembler fort secondaire et anecdotique : en fait, semblable exhumation prouve à quel point, dans le cas de l'auteur du Grand Meaulnes, il est essentiel tout à la fois de mieux fonder l'enracinement de l'écrivain dans sa terre natale, dans sa patrie pour laquelle il a donné sa vie, et de retrouver ses (saintes) reliques pour mieux les adorer. Alain-Fournier est l'objet d'un culte : toujours idéalisé, angélisé... C'est justement ce mythe, particulièrement encombrant et factice, que voudrait profaner cet essai qui montre comment Alain-Fournier a élaboré toute une stratégie romanesque, visant la déculpabilisation et la sublimation (par ses lecteurs) de son propre imaginaire. Oui, Le Grand Meaulnes est un logiciel d'idéalisation et de purification, comme il en est de traitement de texte.