Le « marsouin » Louis Sarrat, soldat du 2e Régiment d’Infanterie de Marine, participe en tant qu’appelé à la campagne du Tonkin entre 1883 et 1886. Pendant quelques mois, ses proches, qui avaient reçu son avis de décès, le croient mort. Et puis un jour, alors qu’on ne l’attend plus, il réapparaît à Orléans avec, sous le bras, son journal de campagne tenu pratiquement au jour le jour. Sous la plume apparemment neutre de ce garçon intelligent et méthodique, renaissent les paysages, les visages et les coutumes d’un pays inconnu des Français de l’époque. On découvre aussi la rude condition des soldats engagés dans une guerre coloniale, dépassés par ses enjeux, mais toujours animés par un patriotisme farouche. Les petites histoires deviennent l’Histoire, le quotidien du fantassin celui d’une armée glorieuse soutenue par la nation tout entière. À son insu, Louis Sarrat se transforme en historien, en reporter et souvent, en témoin engagé. Les anecdotes fourmillent : la noyade accidentelle de l’un de ses camarades dans le Fleuve Rouge, la prise de Hanoï, les luttes contre les Pavillons Noirs avec l’aide des Drapeaux Jaunes, l’artisan annamite installé dehors et qui fabrique des jouets à la demande, la première réception d’Européens par un roi d’Annam, sans oublier une foule de considérations ethniques, culturelles, voire botaniques, qui donnent au texte une dimension encore plus réaliste. Le journal s’achève sur une sorte de clin d’œil, « Le récit anecdotique du petit marsouin », écrit en vers et qui résume l’ensemble. Un jour de 1986, un petit-neveu de Louis Sarrat, soucieux de ressusciter cet épisode de l’histoire familiale, ressort le précieux cahier du grenier dans lequel il dormait depuis près d’un siècle. Du même coup, il fait revivre les destins de grandes figures militaires, comme le général Brière de l’Isle ou l’amiral Courbet, mais aussi ceux, plus modestes, des hommes de troupe. Un document haut en couleur, témoin d’un pays et d’une époque à jamais disparus.