Pourquoi Stendhal, Gide, Giono après Montaigne, Pascal, Voltaire, Rousseau dans cette réflexion sur le bonheur continuée à travers les siècles ? Parce que chacun d’entre eux, en se nourrissant des prédécesseurs, a mis le problème du bonheur au cœur de sa vie et de son œuvre. Stendhal, toute sa vie, ira à la « chasse au bonheur ». En dépit d’une existence parfois précaire, il connaîtra quelques moments privilégiés grâce à l’amour, à la beauté de la nature, à la musique, à la peinture, aux conversations où l’on invente, à l’écriture. L’important à ses yeux a toujours été de ne pas devenir un médiocre, de ne pas se confondre avec ces âmes basses ou plates ou sèches qui ramènent tout à la considération sociale et aux questions d’argent. Il a toujours vécu, comme ses personnages préférés, à une certaine altitude. Son bonheur est d’enthousiasme. Gide est nourri de Montaigne, de Rousseau, de Stendhal. Il recherche comme eux une forme d’authenticité. Et, comme chez eux, cette authenticité repose sur la lucidité. Il s’agit de ne pas mentir aux autres, du moins dans les limites du raisonnable, et plus encore de ne pas se mentir à soi-même. Il importe aussi de rester vivant et donc de ne jamais se figer dans une forme ou une attitude. Cela peut parfois sembler jeu d’esthète. Pourtant, sur les problèmes cruciaux - les abus du colonialisme, les réalités de l’URSS -, c’est de celui que l’on considérait comme un dilettante que vinrent les propos les plus fermes. Pour Gide, le bonheur repose sur l’épanouissement de notre être, lequel se fait de temps à autre par la destruction du « moi » ancien. Il avait fait sienne la devise de Goethe : « Meurs et deviens ! » Autres filiations, celles qui vont de Pascal, Rousseau, Stendhal à Giono. L’authenticité chez lui est dans l’acceptation du corps et dans la communion avec la nature. Les âmes douées pour le bonheur savent se déprendre de la gangue de ce qui est inessentiel. Il y faut une part d’amour et, là encore, comme chez Stendhal, une certaine élévation d’âme. La recherche du bonheur a tous les caractères d’une quête. Chacun, comme Angelo dans Le Hussard sur le toit, doit gravir la montagne pour découvrir que le bonheur n’est pas dans la possession des choses mais dans le détachement. Le point commun à ces trois écrivains est sans doute la conviction que le bonheur n’est pas d’avoir, ni de paraître, ni même encore de faire, mais qu’il consiste tout simplement à être.