Naturalisme ? En quoi la vieille thèse philosophique qui soutient que la nature embrasse tout ce qui existe concerne-t-elle chacun d'entre nous ? C’est qu’elle prend aujourd’hui la forme d’un puissant courant, né de la convergence de programmes de recherche, philosophiques ou scientifiques (portés notamment par les sciences cognitives, les neurosciences, la biologie évolutive, la génétique), qui offrent des réponses théoriques et des propositions d’action – qu’il s’agisse d’autisme ou de décrochage scolaire, de dyslexie ou de psychopathie, de persuasion sociale ou de politiques publiques, de choc des cultures ou de développement durable, de régime pénal ou d'obésité, d’inégalités sociales ou de perception du risque, de racisme ou de crimes contre l’humanité. Autant de domaines où il faut prendre des décisions, légiférer, remédier, administrer, orienter la recherche. Ce qui semblait hier échapper par principe à une gestion "scientifique", car reposant sur les rapports entre individus, sur l’autorité, la confiance, la délibération, la conviction intime, semble à la portée de systèmes matériels, optimisateurs "intelligents". Il y a d’autant plus d’urgence à mesurer quel rapport existe entre cette 'naturalisation' technologique et le naturalisme développé par la science et l’analyse philosophique que les technologies "humanoïdes" (intelligence artificielle, robotique…) modifient profondément à la fois les conditions de la décision et son objet. Rares sont ceux qui se donnent la peine, et les moyens intellectuels, d’aller voir au plus près, au-delà d’un rejet simpliste, cette approche naturaliste qui, s'employant à redessiner la silhouette de l’humain, va parfois jusqu’à prétendre régir notre monde. C’est l’ambition de cette enquête philosophique unique en son genre – sorte de "bilan et perspectives" du naturalisme et plaidoyer pour un usage critique.