Le système soviétique s'effondre ; le capitalisme libéral subsiste seul mais, hors quelques rares pays, il ne conduit qu'à des désordres. Une autre voie doit être tracée, dans laquelle les hommes seraient libres de refuser l'ingouvernabilité du monde, l'incapacité dont il souffre d'orienter son dynamisme technologique dans le sens d'un projet délibéré : est inacceptable en effet toute résignation aux misères, aux sociétés duales, aux désespoirs généralisés, aujourd'hui partout présents. C'est dans cette voie que Paul Ladrière et Claude Gruson, l'un sociologue, l'autre économiste, ont mené leur réflexion. Ils traitent des rapports entre éthique et économie en passant par une interprétation sociologique de la modernité, celle de Max Weber d'abord, celle de Jürgen Habermas ensuite. Dans l'analyse qu'ils font de la crise radicale vers laquelle les sociétés actuelles sont entraînées, l'appel à une exigence éthique transformatrice est maintenue malgré tout, comme sensée et possible. Mais, ils démontrent que cette exigence éthique ne s'inscrira dans l'action qu'au prix d'un progrès révolutionnaire des techniques qui permettent de comprendre l'évolution économique et sociale, et d'en déceler les développements virtuels. Ce progrès implique l'affirmation d'une volonté politique et le renouvellement du débat démocratique. Les acteurs, constatant la multiplicité et l'étendue des liens d'interdépendance qui les enserrent, doivent se regarder comme solidaires dans la recherche de l'intelligibilité, laquelle n'est accessible que dans un cadre dépassant la nation, en tout cas un cadre européen. Telle pourrait être la clé du renouvellement, tant attendu aujourd'hui, de la pensée politique.